Pour parler du « regard » et de la « voix », j’ai choisi le fantasme !

Pour moi, le fantasme c’est un nouage qui se construit entre l’affect et l’image… Le fantasme c’est une représentation (non consciente), une image qui parle au sujet (ça lui parle, -> ça a du sens pour lui). C’est la traduction de sa propre pensée par l’image (…comme dans les rêves).

Le fantasme a une fonction structurale. Il est toujours à mi-chemin entre pulsion et désir :

À la fois ça permet au sujet de jouir d’une pensée transgressive (qu’il s’interdit)… / À la fois ça le divise, en le mettant justement à distance de son corps pulsionnel (dont le fantasme permet justement le refoulement).

Comment se construit le fantasme ?

Le fantasme c’est d’abord une hallucination qui se déplie dès le départ… dès le 1° cri de l’enfant (c’est même la propre voix de l’enfant qui en permet le déploiement).

Comment ?

Sa mise en route, sa primo-formation, il la tire de la pulsion qui s’éveille (qui s’éveille tout d’un coup à l’insu du nouveau-né). -> lui, il n’a rien demandé (sinon, juste à retrouver un état de non tension)… Sauf que, en lui donnant les soins, sa mère forcément elle le met en tension : elle lui éveille sa pulsion. Même si ses gestes sont pleins d’amour, ses sollicitations ça le bouscule. L’enfant, immergé dans le champ maternel, est débordé par des sensations multiples, et donc par sa propre excitation, sans pouvoir en éprouver les bords. Et donc, ça crée l’angoisse.

C’est loin d’être confortable….

Son corps est en permanence en état d’effraction…! C’est sa propre pulsion qui le traumatise. C’est même Le traumatisme originaire ! Tout traumatisme futur (quel qu’il soit !) prend racine là… dans la propre pulsion de l’enfant.

((C’est même peut-être pour ça que les bébés dorment beaucoup : ils ont besoin d’évacuer par le rêve ces 1° moments traumatisants …D’ailleurs, je suppose que l’image, la perception s’ébauche en premier par le rêve !)).

Et, lorsque l’enfant est éveillé, le fantasme (originaire) prend le relais du rêve…et se met en action, justement pour tenter d’éponger ce pulsionnel qui fait effraction et angoisse. Le fantasme, c’est une prise en charge psychique de l’effraction. …Ça vient amortir le choc de l’excitation et sa dimension imprévisible !

Comment ? …En créant, à partir de ses multiples sensations, une représentation !

À ce stade précoce, la représentation se constitue pour permettre d’absorber la réalité traumatique.

-> Comme l’exemple de l’hallucination du sein (un sein qui est absents dans la réalité), mais dont la représentation se pointe pourtant au moment où l’enfant le désire -> Il voit pour la 1° fois (le regard se met à voir), c’est-là que la 1° image s’agrafe au regard (c’est l’image d’un fantasme) -> avec précisément cette hallucination-là !

Le fantasme se situe à la pointe du regard -> c’est un filtre ! …Un filtre subjectif de la perception, …une sorte de garde-fou !

Cette perception (que ses 1° sensations ont poussé à créer), ça va permettre (à l’enfant) de maîtriser son traumatisme. Ça va mettre des bords à son propre flux pulsionnel. …Au lieu de le subir, il va, par la voie(x) visuelle, (par ce montage scopique), le mettre à distance. Et ça va lui permettre de cibler la cause de ses angoisses.

Comment ça se met à distance ? Ça se fait en 3 actes !

-1) D’abord grâce au « saut de la pulsion, du soma au psychisme ».

L’enfant rejette (hors de son champ corporel) cette excitation sans limite, ce « trop » de réel pulsionnel. Il rejette son propre monde incestueux …il l’expulse !

Et ce qu’il projette (hors de lui) se réinvestit dans le montage visuel. -> Ça devient des perceptions (des images). C’est tout le montage scopique (…ça vient de l’intérieur, mais c’est projeté en dehors)

Par exemple, ces 1° représentations vont progressivement prendre à leur compte ce pulsionnel qui angoisse, et donner à cette angoisse « scopiquement » des contours. …Les contours d’un Autre qui va présentifier ce qui persécute l’enfant. L’effet traumatique de la pulsion est projeté du côté de l’Autre.. -> l’Autre qui devient, pour le coup, une sorte de grand-Autre tout puissant, et qui fait fonction d’emprise.

Cet Autre c’est quoi ? C’est la 1° identification -> c’est la perception d’une présence extérieure, un amalgame archaïque (entre père et mère), une sorte d’Altérité que l’enfant investit, lui-même, de sa propre pulsion.

Du coup, cet acte de rejet pulsionnel, ça va aider l’enfant à se différencier de la fusion maternelle, donc à se diviser …en l’extériorisant de lui, et en lui mettant des formes perceptives.

-2) Mais pour assurer cet écart visuel (donc la division), un levier est nécessaire :

-> là, la voix joue un rôle..

Déjà, elle est elle-même la division de la pulsion orale…! La voix est à la fois un objet pulsionnel et un dispositif de conversion. Dès le départ, la pulsion orale se convertit.

-> De l’absorption de l’objet oral, elle se convertit (en sens inverse) en voix qui émet, qui expulse l’objet oral métabolisé …L’enfant avale, accueille impuissant ce qu’on lui donne (le lait, l’amour, l’environnement et ses aléas) ! Mais son cri permet de mettre une limite à l’excès, et participe à l’expulsion de celui-ci !

La voix a donc 2 fonctions : 1°) la voix, pour le nourrisson c’est comme une soupape, -> une sensation interne qu’il expulse par la bouche !! 2°) Il y a une sensation interne qui pousse l’enfant à l’expression… La poussée pulsionnelle (son monde incestueux) pousse à faire entendre sa voix !  …il le pousse vers l’envol du langage …et donc sur celui du refoulement.

En fait, c’est le débordement d’excitation qui met en route le vocal. …À ce moment-là, c’est la voix de l’infans ! …Il n’y a pas encore la parole, mais il y a la division.

Tout excès d’excitation, éprouvé en interne, est relayé par la pulsion vocale et repoussé à l’extérieur -> pour être réinvesti à distance dans le champ de la perception …c’est comme ça que se construit le fantasme (le filtre subjectif !)…

Pour se défendre de ce corps pulsionnel, qui s’éveille à son insu et lui provoque des angoisses, l’enfant n’a comme seule défense soit les symptômes, soit dormir et rêver, soit la voix (en préambule du langage) -> du coup, il pleure !

En gros, l’enfant construit son monde, (son mode psychique)…son monde fantasmatique …son grand Autre imaginaire qui le persécute, et en même temps, auquel il est tout de suite attaché, …en ciblant par son cri ce qui l’encombre, le traumatise et l’angoisse.

-3) Cette mise à distance actionne le 3° acte.

Je disais que le regard c’est une mise à distance de la pulsion, et que la voix est la dynamique projective, qui a un rôle de levier et qui permet cette délivrance (cette mise à distance). Le fantasme, c’est le produit de ce nouage (d’une collaboration, qui s’opère entre le regard et la voix), qui acte une division !

Et justement, cette libération vocale (ou orale) révèle que le fantasme, qui se forme hallucinatoirement, peut, dès le départ, se renverser.

Donc, Le fantasme c’est une 1° division qui forcément en appelle aussitôt une seconde :

=> ça se retourne ! …la voix, en libérant, en rejetant, en expectorant la pulsion « attachée au corps », retourne en même temps le fantasme en son contraire. Le parricide, ça commence déjà-là ! ((Je dis parricide, mais il s’agit d’abord du meurtre de la Chose…qui va frayer les 1° traces du parricide))

(((on sait que la satisfaction pulsionnelle a une double polarité -> soit elle se satisfait sur un mode passif, soit sur un mode actif)))

Du coup, très vite le bébé expulse ce qu’il subit à son insu… et met des limites au fantasme d’un Autre psychique (qui persécute !). En criant, il stoppe sa dynamique, et donc met un frein à son emprise ! …Plus il l’interpelle, plus il le perçoit, plus il le maitrise…psychiquement.

Il va progressivement mettre en œuvre des petites actions fantasmatiques, qui vont constituer (tout au long du développement de sa structure) les prémices du parricide. Comme par ex : les refus, ses résistances à l’Autre, ses oppositions … quand il apprend à dire « non ! ».

Quand, à la place des pleurs, il va émettre des sons, il va babiller, …quand il va s’approprier sa propre voix (à lui)… quand il va balbutier les tous premiers mots avec sa propre tonalité à lui (…se détachant de la Tonalité des mots maternels), …au moment-même où il entend par lui-même ses propres sons, ses propres mots, son propre timbre vocal (tout en les prononçant à l’adresse de l’Autre -> c’est-là où il entre dans Le registre symbolique…(qui est toujours un registre privé, singulier), et c’est-là qu’il inaugure la base du futur fantasme parricide.

En résumé, tout au long du développement de la structure, le fantasme originaire (qui met en mouvement la pulsion scopique) subit (lui-même) des petits moments de renversement…(qui stoppe l’étendue d’une angoisse qui serait immergeante, voire mortifère si l’enfant ne criait pas !)