LC3 Présentation de Lapsus Calami à Paris

On sait qu’il faut une deuxième hirondelle, au moins, pour faire le printemps, et dans le cas d’une revue, il faut un minimum indispensable de numéros publiés pour faire une série, et avec ce N° 3, que nous présentons aujourd’hui, je peux vous annoncer que le Groupe de travail de Convergence Perspectives en psychanalyse est déjà en train de concocter le Nº 4, et qu’il a commencé à collecter les écrits, et dans ce cas, il s’agit plutôt de semer que de récolter.

A ce propos, Lacan nous dit de ses Écrits qu’ils formulent un contenu sur lequel on peut s’appuyer ou que l’on peut laisser de côté et il ajoute plus tard, qu’ils sont là mais ne sont « pas à lire ». À mon avis, il indique une voie à ceux d’entre nous qui se reconnaissent dans son enseignement sur les effets de cette lettre et sur son incidence sur notre pratique analytique – sans oublier non plus que sa réception peut ébranler une position subjective.

Or, il me semble que Lapsus Calami, précisément parce qu’il s’agit d’une revue qui se spécialise dans la publication de travaux d’analystes qui offrent leurs lettres pour parler de thématiques soumises à notre considération – et qui ne coïncident pas toujours sur tout mais qui le font toujours des manières les plus diverses – il arrive donc souvent que dans notre revue les effets découlant du fait de nous approprier les textes de Freud et de Lacan pour répondre à l’invitation par le biais de l’écriture. C’est là que les Notes de lecture font leur entrée. Je veux dire, d’une écriture réalisée respectivement par le lecteur et par l’auteur, pouvant ainsi se situer – en tant qu’analystes – comme  lecteurs co-producteurs de textes. Il est clair que par moments, et c’est une chose que l’on peut confirmer en les lisant, dans cette invitation à la réécriture, la répétition engendre une différence inexorable. Par exemple, il y a des Notes de lecture suscitées à partir d’un ensemble disparate de textes qui se déplacent comme propulsées, à l’instar d’un ensemble de forces, comme le mouvement d’un “attracteur étrange”[1] pour celui qui écrit et qui est un « petit détail » qui va briser les efforts répondant à l’illusion d’une communication univoque. A certaines occasion, le contenu de la Note se tisse autour de l’un d’entre eux, et à d’autres, les interruptions et la ponctuation auxquelles ils ont recours se font écho, se profilent, s’enveloppent et s’entremêlent comme un télescopage. Il peut même arriver, c’est en tout cas une de mes pratiques, que lorsque nous prenons connaissance des textes qui sont censés porter sur le thème en question, de prime abord, au cours de la lecture nous sommes assaillis par le doute, par l’incompréhension fluctuante, l’hésitation, le tâtonnement, le soupçon empreint de méfiance face à nos conjectures; enfin, différentes significations surgissent, juxtaposées, en lignes parallèles, autonomes, qui parfois ne s’articulent pas avec notre savoir et ainsi – ce n’est pas toujours le cas – nous nous retrouvons parfois non seulement face à diverses significations, mais aussi à une pluri-signification paradoxale des textes.

Comme l’affirme Lacan en 1955: « il n’y a pas de carte de l’inconscient ». C’est là que surgit l’idée de marquer l’absence d’une « somme substantielle » qui met de côté toute exhaustivité toutiste[2]. Il s’avère évident que là intervient encore et encore, comme une ligne directrice castrante, la mise en acte de la non relation sexuelle, d’un pas-tout qui marque au fer rouge le fait qu’il s’agit de parties extra-parties, sur le mode du sans totalité de l’être parlant sexué.

Pour dire les choses autrement en citant Bajtín, la lecture dans Lapsus Calami soutient une dimension d’exotopie par rapport au texte : c’est à dire, adopter la même approche que pour le texte d’un autre – « lire comme si nous étions autres » – poser des questions que celui-ci ne s’est pas posées, en cherchant des réponses à de nouvelles questions, pour découvrir, dans cette tentative pour répondre, de nouveaux aspects, de nouveaux parcours.[3]

Disons-le encore une fois, il s’agit d’une  manière de travailler sur les textes proposés selon une méthode décompositive-recompositive, à travers une délecture scripturale ou une écriture délecturale, selon Harold Bloom.

En voilà le résultat : je vous propose une série de questions, à la manière du début d’une Note de lecture, que je me suis posées au cours de l’élaboration de ce N° 3, Politique et pratique de la psychanalyse, en essayant de nous rapprocher, dans son modus operandi, de ce qu’exige la règle fondamentale de l’artifice analytique, qui, en se scindant de tous les discours dans le détail, introduit la valeur inappréciable de celui-ci.

* S’il est entendu que « la théorie est “lue” à partir de sa mise  en acte opératoire », l’assertion qui ne situe pas la clinique comme « épicentre de la psychanalyse » serait-elle possible?

* Lacan dit à propos d’Hitler : Hitler n’est qu’un précurseur, et conformément à cette opinion, pourrait-on dire qu’une coupure a lieu avec les « formes du malaise », puisqu’il n’existe aucun antécédent de cette extermination méthodique propre du XXe siècle?

* Laisser place à la question sur ce que l’on a généralement tendance à souligner en faisant valoir que la politique de la psychanalyse est celle du symptôme et de sa relation « avec les paramètres du discours du maître », interrogeant ainsi ce lien social entre analystes.

 Perspectives en psychanalyse a été élaboré pour commencer à travailler, entre autres questions, sur certaines des possibles différences observées dans la psychanalyse actuelle, en prenant comme références fondamentales celles qui se produisent dans le cadre du mouvement lui-même et, il va sans dire, au cœur même de notre Groupe de travail de Convergence. Comme son fonctionnement implique l’expérience de la castration dans chacun des psychanalystes qui en sont membres, je veux dire qu’à chaque réunion on met en oeuvre, pour commencer, la façon dont entre en jeu la place du collègue, comment cela s’articule au fait d’être interrogé par un autre et dans quelle mesure on “supporte” les différences qui à la longue s’avèrent bénéfiques et enrichissantes bien que parfois – voire en général – et peut-être justement à cause de cela, “en ébranle” plus d’un, comme le dit un des auteurs dans  Lapsus Calami.

Il s’agit donc de la façon dont chacun de nous fait face à partir de l’énonciation et non pas tant seulement à partir de l’énoncé, ce qui serait un une articulation possible avec la castration : la tolérance, comme une de ces formes, par exemple.

A cette occasion, dans Lapsus Calami, nous tentons de situer ces différences, de les cerner, de les mettre à jour dans le débat par le biais de l’écrit, en publiant une revue financée, selon l’usage, par les ressources libidinales que déploie Perspectives en psychanalyse. Dans cette orientation, nous essayons de mettre en oeuvre notre pratique  de lecture- lecture/écriture- à partir de nos écrits et de ceux d’autres analystes. Ce qui, à mon avis, ne fait qu’exacerber – en mettant en acte – le présent de lecture qui n’est pas séparable d’une historicité, dont ne jouit pas l’écriture, car celle-ci ne se soutient que par le fait d’être présente dans le présent. Autrement dit, si lire ne commence que lorsqu’on relit, sans doute peut-on dire qu’il faut trouver l’écriture qui correspond à la lecture et à ce moment-là l’empreinte de Lapsus Calami devient possible.

Pourquoi Lapsus Calami? En ce qui me concerne je donnerai une des raisons possibles pour le choix de ce Nom. Il me semble, d’abord, que le lapsus parle de l’ouverture et de la fermeture de l’inconscient comme formation paradigmatique parce qu’il a lieu “avec empressement et célérité”. Et si l’on veut y regarder de plus près, cela équivaut à dire que si tout lapsus est calami, il faut saisir sa portée, par exemple, dans l’activité novatrice de Lacan, dans son Séminaire, lorsqu’il profite d’un lapsus calami qu’il a commis dans la gestation de la notion de lalangue.

Que démontre ce procédé lacanien dont notre Lapsus Calami veut être le débiteur et peut-être trouver dans un acte une parenté de procédure ? À mon avis, il illustre la condition performative qui survient par l’utilisation, quand dans la violence du forçage parolier, dans l’acte de sa déconstitution-constitution, est vérifié dans le mot nouveau-né, cette même nomination. Ainsi a lieu une rupture effective de la grammaire qui viole sa syntaxe, et en même temps, distraite quant au lexique, elle est soustraite du contexte. Je me réfère à une façon de comprendre ce que dit Lacan dans le Séminaire XXIII: «… le lapsus calami, n’est pas premier par rapport au lapsus linguae, mais il peut être conçu comme touchant au réel ». C’est une des deux citations de Lacan, qui se trouvent avec deux citations de Freud, au dos de ce premier numéro de notre revue, et expriment le mieux ce que nous entendons par lapsus.

Pour conclure et commencer à élucider ce qu’a suscité en moi le travail de traduction effectué dans les textes présentés ici, et / ou des traductions réalisées par les auteurs dans leurs lectures des textes de Lacan, il faut ici signaler un détail minime : la traduction est une question présente et nodulaire de Lapsus Calami, ce que j’ai compris à travers le travail accompli jusqu’ici. Pour l’instant, on peut penser que ce qui sera décisif dans la traduction des textes psychanalytiques qui sont à la base de notre pratique est ce trait dans le Réel de la cure pour chacun, qui fera la différence ou le consensus pour chacun : la pierre de touche sans doute.

Pour le moment je peux dire à ce propos, que, dans mon expérience en LC, j’ai cru comprendre qu’il faut faire dans la langue cible, avec ses propres ressources, ce que le texte fait à sa langue, la langue source (Meschonic), puisqu’il ne s’agit pas de dire la même chose différemment, ni “presque” la même chose mais qu’il me semble, et suivant l’apologue lacanien dont je vous parlais, que non seulement il y a toujours passage de langues, mais qu’il existe aussi des cas où une écriture fait l’invention d’une oralité. Pour le dire autrement, le langage se perfectionne quand il sait jouer avec l’écriture.

4 juin 2013, Maison de L’Amerique Latine

[1] Cf. Roberto Harari: La pulsión es turbulenta como el lenguaje. Ensayos de psicoanálisis caótico, Ediciones del Serbal, Barcelona, 2001. La pulsion est turbulente comme le langage. Essais de psychanalyse chaotique, L’Hartmattan,Paris, 2005

[2] J.lacan, “Intervention sur l’exposé de J.Favez-Boutonier “Psychanalyse et Philosophie” (25/1/55) www.ecole-lacanienne.net.

[3] Cf. Mijaíl Bajtín: Estética de la creación verbal, Siglo Veintiuno editores, México, 1982, p. 352.