“Le cri fait en quelque sorte- le silence- se pelotonner dans l’impasse même d’où il jaillit pour que le silence s’en échappe “ Lacan,  « Séminaire 12 » ( 17 mars 1965)

“Los dioses no se ven pero se oyen: en el trueno, en el torrente, en la nubada, en el mar. Son como voces”. Pascal Quignard,  “La haine de la musique”

Après plusieurs traitements Cecilia fait une consultation à l’âge de 23 ans, portant le signifiant « brontophobie » en tant qu’essai d’expliquer sa souffrance. Bourrée d’informations fonctionnant comme des rationalisations qui n’arrivent pas à symboliser « ca » qui l’afflige.

Sa douleur avait commencé quand elle était petite par la peur des tonnerres nocturnes qui la menaient à se réfugier au lit de ses parents.

Peu à peu cette peur s’est étendue vers les orages.

En arrivant à la puberté elle est passée par une période de calme, et tous ont pensé qu’elle avait surmonté sa peur ; mais à l’âge de quinze ans cette terreur est revenue, même plus puissante.

Adolescente, elle évitait par des moyens inavoués de sortir de chez elle quand il pleuvait, et elle est même arrivée à ne pas le faire quand « il était sur le point de pleuvoir ».

 

Jeune, le seul fait de voir le ciel s’obscurcir lui provoque un effroi indescriptible.

Elle dépend absolument de la météo, au point de choisir le lieu et le moment de ses vacances en fonction du climat.

Sa vie sociale est assez pauvre, ses relations instables. Elle n’a avoué qu’à un seul petit- ami sa souffrance ; celui-ci l’a d’abord comprise, mais au bout d’un certain temps il en a eu assez.

Ses emplois ne sont pas épargnés de cette situation. Ses absences – elle n’arrive pas à supporter le retentissement des réveils-  produisent des licenciements à répétition. L’orage, qu’éveille-t-il ? Nous en sommes à un moment de son récit où quelque chose commence à sonner de manière bizarre.

L’analyse commence de manière “entrecoupée” à cause de ses absences. Le tonnerre vite se présente dans ses fantasmes comme la « voix paternelle » : les cris de son père militaire faisant irruption dans la maison, ivre, pendant la nuit et ses propres cris à elle, adressés à son père, en essayant désespéramment d’être chassée du lit parental.

Je me souviens d’une citation de Lacan-dans son Séminaire 4, quand, le 20 mars 1957-, qu’on articulera au cours du développement de cette analyse avec la proposition qui s’en découle. Il dit : « Le sens de la phobie, c’est bien cela: c’est d’introduire dans le monde de l’infant une structure, une certain façon de mettre au premier plan la fonction d’un intérieur et d’un extérieur (…) la phobie instaure un nouvel ordre de l’intérieur et de l’extérieur, une série de seuils se mettent à structurer le monde »

En faisant beaucoup d’efforts elle réussit à soutenir un emploi et connaît un homme avec lequel elle entame une relation « houleuse ». L’obsession climatologique cède, mais au moment de l’orage apparaît « cela » qui ne cesse pas de ne pas s’écrire en historicité. Des énigmes face auxquelles on peut, ou non, reconnaître la limite du Réel.

Son analyse continue. Les éclairs ne lui font pas peur… comme le tonnerre prévient, elle peut fermer les yeux. En fait, elle se sent attirée par les feux d’artifice. « On m’a dit que puisqu’ils sont créés par l’homme, ils peuvent être contrôlés. Il semblerait que mon problème est ce qui est incontrôlable dans la nature, ce qui peut nous tuer n’importe quand ».

Elle continue sur la voie de ce qui est inanticipable, incontrôlable, imprévisible, tout cela vécu comme des coups de réel mettant en évidence autant l’insignifiance de son corps face à la magnificence de la nature que ce qui est « incontrôlable » en rapport avec son corps.

La terreur se manifeste ainsi: tout son corps tendu, elle retient son haleine et bouche ses oreilles. Elle parvient à un certain calme en se mettant au lit car elle peut se couvrir complètement avec les draps.

Un souvenir apparaît:

Elle est chez ses grands- parents, dans les montagnes de la province méditerranéenne de Córdoba, ravie par le son de l’écho postérieur au tonnerre. Il y a du rythme dans cet écho… lequel à un moment donné cesse, quelque chose  « se discretiza » (néologisme en espagnol qui indique ce qui est susceptible d’être séparé) en atténuant l’effet sinistre.

Puis, une deuxième scène, à ses quinze ans: en vacances au bord de la mer, elle se trouve, le soir  et sur la plage, à côté d’un jeune homme : Le bruit des vagues dans le noir de la nuit… un rythme insupportable. « On ne pouvait pas distinguer le ciel de la mer ». Elle n’a plus jamais pu s’approcher de la mer la nuit, parce que « je ne peux pas ne pas entendre ». Allongée sur le canapé, elle dit : « Je viens de réaliser que je ne comprenais pas que ce jeune homme-là me plaisait vraiment ».

Elle commence à trouver du calme quand, pendant les orages, elle peut entamer une conversation avec quelqu’un.

Durant un épisode elle téléphone à son analyste:

Cecilia raconte ce qui se passe dans son corps au fur et à mesure que l’orage se déchaîne. C’est un orage d’été, il vente, il tonne et il grêle. Pendant l’entre-tonnerres le silence l’effraie. Du bruit ou du silence, on ne peut pas s’enfuir, ils t’entourent, comme l’obscurité.

Elle fait silence jusqu’au moment où l’on entend un son à peine audible ; son analyste lui pose des questions à propos. « Mon ventre à moi [me]  fait du bruit » répond-elle en riant, mal à l’aise. Son ventre qui brise le silence dès qu’il est entendu. Et elle commence à parler d’autres sensations qui vont au- delà de celle de la peur.

Après l’éclair, entre le tonnerre et le silence, la terreur arrive. Face à cela, que nous pouvons déjà considérer le pulsionnel turbulent, « torbellinario » (avec la force et la forme d’un tourbillon), où tout est mélangé, il s’agit de « discretizar » (séparer). C’est la voie que prend son analyse.

Un corps se constitue par l’effet d’une opération du signifiant, il n’y a pas de corps sans signifiant, mais pas tout ce qui a été « des débris de vu et d’entendu » parvient à « significantizarse » (entrer dans l’ordre du signifiant). En y parvenant, quelque chose tombe comme non-sens. Quelle destination pour ces débris de non-sens ? C’est cela qui revient comme l’auditif-visuel(en espagnol, visivo), invasif qui menace le sujet ? Retours de ce qui n’a pas été symbolisé ?

Que dit un tonnerre? Les vagues? Et le bruit du ventre? Champ du non- sens où il faudra chercher le désir qui l’interprète.

Ce qui ne parle pas, sans être en dehors du langage, vocifère. Comment échapper de cette dominance sans paupière auditive ?

Nous devons nous rappeler que lors de la Conférence de Genève[2], Lacan dit que « J’ai très bien vu de tout petits enfants, ne serait-ce que les miens. Le fait qu’un enfant dise peut-être, pas encore, avant qu’il soit capable de vraiment construire une phrase, prouve qu’il y a en lui quelque chose, une passoire qui se traverse, par où l’eau du langage se trouve laisser quelque chose au passage, quelques détritus avec lesquels il va jouer, avec lesquels il faudra bien qu’il se débrouille. C’est ça que lui laisse toute cette activité non réfléchie – des débris, auxquels, sur le tard, parce qu’il est prématuré, s’ajouteront les problèmes de ce qui va l’effrayer. Grâce à quoi il va faire la coalescence, pour ainsi dire, de cette réalité sexuelle et du langage ”.

Des “miettes” de paroles, des mots ne se pliant pas à des sens constitués ; dans la mesure où ils apparaissent en tant qu’ »altérité dans ce qu’on dit » pour la parole qui les porte, ils effrayent et inquiètent.  Il faut savoir « se débrouiller » avec. En transfert, l’analyste entend et à la fois écoute, « auditionne » des signifiants dans le récit de l’analysante. Une autre voix fait qu’il fasse moins « nuit »

Mise de l’analyse: qu’un intervalle coup (“discretice”) et,  à condition du silence installé par le signifiant, qu’un sujet apparaisse au milieu de la présence intrusive et effrayante du tonnerre qui provoque l’accroissement de l’angoisse chez la sujet inerme, justement menacée dans sa subjectivité. Des dires de l’Autre produisant les coupures nécessaires pour qu’un écho soit possible : coupure et répétition rendent possible l’incidence du signifiant. Dans le sonorisé sinistre, tel un cri asignifiant inassimilable par le  symbolique), l’intervalle est articulation entre le visuel (en espagnol, « visivo ») et le sonique, il articule le scopique et cette autre condition… D’où il vient, ce bruit ? Tonnerre, condition énigmatique pas localisable qui entoure l’analysante en la rendant inerme comme dans l’expérience du monde omnivoyeur.

Dans “La troisième” Lacan  affirme qu’on a peur de notre corps…. Et que ”l’angoisse c’est le sentiment qui surgit de ce soupçon qui nous vient, de nous réduire à notre corps “.[3]

Le pulsionnel sexuel ne s’arrête pas, comme les vagues de la mer… rythme insupportable pour ce qu’il a de répétitif et d’infini. Dans la nuit noire la sonorité du pulsionnel traque, ce qu’elle « ne peut pas ne pas entendre » la regarde, l’entoure dans une expérience de ce qui n’est ni dedans ni dehors, mais qui « ex-siste ».

Le non- sens, dira-t-on vingt ans plus tard. La sonorité fracassante qui choque l’univers n’est pas parole mais elle s’inscrit dans le langage. Émission vocale a-signifiante, par le fait qu’elle contient tous les signifiants possibles, tel que le dit Lacan dans son séminaire 3 à propos de Schreber ? Presque vingt ans plus tard  nous dirons le non-sens.

Tonnerre – obscurité – vagues – pulsion sexuelle – bruit au ventre; continuité Imaginaire-Réel de ce qui ne peut pas être articulé. Les bruits se confondent, jusqu’au moment où peu à peu le dire en transfert les sépare et les enchaîne sous forme d’articulation.  Que le Réel inassimilable par le symbolique commence à s’organiser en historicité, qu’il trouve place dans son histoire nécessite en même temps que de nouvelles attaches « inouïes » se retrouvent et se créent, rupture du sens œdipien afin de trouver un autre mode de savoir  -faire avec- ce qui provoque sa souffrance.

Traduction: Alicia Waisman

References bibliographiques:

  • Roberto Harari « Vocologie Psychanalitique : le reelangage » Dans Analyse Freudienne Presse 2009/1 (n 16)
  • Jacques Lacan. Conference donnée á l’Institut Français de Milan, 18 decembre 1967, Scilicet 1, Paris, Seuil, 1968
  • Seminaire « Eficacias del Realenguaje » donnée a Mayeutica- Institución psicoanalítica. (2017) E.Feinsilber, B.Mattiangeli, M.Rizzi, I.Rodriguez, G.Spinelli, D.Voronovsky.

[2] Jacques Lacan, “Conference a Geneve sur le symptome” (4/10/75)

[3] Jacques Lacan “La troisième” 1/11/1974


 

Presentación realizada en el Coloquio Internacional convocado por la Escuela Freudiana de Buenos Aires, la Escuela Freudiana de la Argentina, la Fundación Europea para el Psicoanálisis y Mayéutica- Institución Psicoanalítica “La voz y la mirada en la experiencia del análisis” realizado en Buenos Aires los días 22 y 23 de marzo de 2019.