Présentation 13/6/17 Paris  [1]

Ilda Rodriguez

“Le rêve ne se propose de rien dire à personne et, loin d’être un moyen de communication, il est destiné à rester incompris.

Sigmund Freud

 

El poema no tiene sentido, no tiene destino 

(Le poème n’a pas de sens, il n’a pas de destinée)

Alejandra Pizarnik

En paraphrasant Lacan, nous constatons que l’on commet parfois avec lui la même erreur qu’avec Freud, qui consiste à ne pas avoir lu ce qui était écrit. Il me semble qu’il s’agit ici de mettre l’accent sur la nouveauté de l’écrit, dans le but de faire avancer la psychanalyse sur ce qui n’a pas encore été lu dans certaines parties de l’œuvre[2] de Freud et de Lacan. Il faut également articuler avec cela la périodisation[3] dans la lecture de ces œuvres psychanalytiques ouvertes. Il me semble qu’un tel traitement ne signifie pas une avancée, en entendant par-là que les derniers travaux sont meilleurs que les précédents et que ces travaux antérieurs peuvent être laissés de côté, étant donné que la psychanalyse comporte une praxis poïétique[4] à déployer dans et à travers la parole, en fonction de ce que veut dire parler en psychanalyse ; comme on peut le voir à la lecture de ce livre.

À cet égard, si nous concevons l’écrit comme appartenant au réel, nous ne postulerons pas son impossible exhaustion; mais nous devons d’abord nous intéresser à ce que me fait dire le déploiement de cette « relation illicite entre la poésie et la psychanalyse ». En effet, un élément remarquable de ce texte est la générosité à l’égard de son lecteur – c’est du moins mon expérience- il l’accompagne, l’interroge, l’invite à le faire fonctionner, à infliger une certaine violence à ses letres et, pourquoi pas – « faites comme moi, ne m’imitez pas » – en effectuant ce que l’auteur fait au poème dans un pivotement dans lequel il apparait entre l’invention poétique et l’invention psychanalytique. Encore une fois, il présente en acte une pratique de la langue en tant qu’écriture. Enfin, il encourage à prendre la place du lecteur qui « rétro-fonde ce qu’il est en train de lire ».[5]

Il faut ajouter que Lacan, en relation avec l’inconscient, déclare que le langage est au cœur de ce qu’il enseigne et il ne cesse d’insister sur le fait que l’on a parfois tendance à oublier que ” la parole n’est pas le langage, et que ce dernier fait parler drôlemen qui se spécifie dans ce parlage[6]dont l’apparition se produit pendant la session d’analyse par le biais du transfert. Disons que nous sommes bifides et que l’émergence de lalangue nous donne un modèle d’analyse. Ni strate ni fond, mais fondé par une opération de l’analyste qui fend la langue du phrasé analysant, inaugurant un nouveau signifiant. Et voilà pourquoi « notre » texte montre à travers les actes que le travail analytique vise à tenter de sauver le pouvoir virtuel du langage et non pas à se déplacer dans le strict registre de la langue.  Ainsi le fait de nous accepter en tant que bifides implique un déplacement entre la langue et le langage. A ce propos, Lacan, modifie fortement cette idée selon laquelle nous sommes parlés en suggérant que s’il n’y avait pas une sorte de petite modification – une encoche – produite par le parlêtre, cette langue mourrait.[7]  Cette virtualité, ce pouvoir, c’est celui qui insiste encore et encore à la suite de la lecture du livre : une manœuvre que chacun fait parce qu’elle est de l’ordre de la singularité et qu’elle joue en chacun de nous avec notre condition bifide. Nous ne sommes pas victimes d’une langue qui nous attrape tous de la même manière, ni parlés en conséquence; au contraire, il existe une petite avancée dans une psychanalyse en fonction de cette invention dans la langue qui nous contraint et qui rend l’acte de parler bien singulier en tout cas. Ainsi, et selon une lecture survenue a posteriori, nous atteignons le point où, s’il y a une différence, elle passe par l’écriture. Ce que l’on entend ne suffit pas parce que les jeux phoniques ne la produisent pas. Qu’il y ait une primauté du langage c’est avant tout une réflexion sur ce qui se passe avec l’écriture, avec l’inscription. L’écoute – il faut le souligner- conduit à des malentendus, autant qu’entre “pour être” et “paraitre”.

Maintenant, je veux me concentrer sur une question – que le texte élucide vers la fin – par rapport à la position de l’analyste comme poème, à certains moments de la cure. Pour commencer à élucider cette question « Je ne suis pas un poète, mais un poème. Et qui s’écrit, bien qu’il ait l’air (il ait l’air d’être su-je) d’être sujet. » Ici, dans cette préface pour un public anglophone, il met en acte un jeu continu de lettres, en se basant sur une utilisation spécifique de la langue qui enlève de la facilité à sa lecture, parce qu’à la manière d’un poème, il viole ce que l’on pourrait appeler la variante communicationnelle du langage.

Cependant, que l’analyste dans la cure – à travers la mise en œuvre du désir de l’analyste – se fasse faire un poème qui s’écrit -poèmanaliste : poème-émane-analyste permet d’en déduire d’emblée, me semble-t-il, que l’écriture ne se soutient que parce qu’elle est présente dans le présent (Meschonic). Et en même temps, elle tente de mettre en œuvre un présent de lecture – lire ne commence que quand on relit- qui n’est pas séparable d’une historicité, dont ne jouit pas l’écriture. Peut-être pourrions-nous ajouter que pour que le poème ait lieu là, il faut se passer à la fois du contexte et du référent. A ce moment-là, la poiesis fait son entrée en tant que production dans la présence, que nous pourrions appeler poème – comme j’espère pouvoir l’exposer – et qui apporte à la langue la question suivante : qu’est-ce que cette expérience de la rencontre, de la trouvaille de la perte de l’objet, dans l’effectuation du poèmanalyste dans une cure ?

Par exemple, dans ce sens, l’expérience dans l’analyse de l’association libre répondant au “parlez”de l’analyste, laisse une place fondamentale à la bêtise pour qu’elle soit élevée à la dignité de tâche analysante, étant donné qu’elle s’enquiert des malentendus que le forçaje analytique fera sonner – dans la parole imposée par cette Autre chose. Sans aucun doute, il s’agit d’un exercice que Lacan nous recommande d’effectuer- en le mettant en acte – car il est tout à fait révélateur : « Transformer la manière d’écrire les choses» en écrivant dans le texte de l’analysant pendant la séance, à la manière du palimpseste.

Voici les premières choses qui me viennent à l’esprit quand je lis son ” je suis un poème qui s’écrit ” :

  • Il y a quelque chose de l’ordre du produire, et convenons que s’il n’y a pas de communication, il peut y avoir un non-sens. Ce qui ne veut pas dire que ce qui s’appelle poème soit hermétique, ni confus, ni beau, ni que cela requière une clé pour l’élucider; plutôt cela implique de pro-duire- à la manière d’Agamben – ce mettre la présence de l’être.
  • En d’autres termes, selon notre expérience clinique quotidienne, le dire se transforme en acte, par exemple, en montrant combien de mots sont impliqués dans l’un d’entre eux, dans la mesure où – selon la perspective de l’entêtement imaginaire – il est prétendu univoque, entier. En échange, sa rupture est propice, en faisant jouer l’homophonie, en trouvant, par exemple, un mot qui est à proximité de l’autre – et qui jusque-là ne nous serait pas apparu; et par une déviation des lettres (un clinamen) un autre mot est souscrit qui n’est pas dans le lexique commun unifié, ce qui provoque un effet – certainement bénéfique – de désadaptation. Cela se produit donc au moment d’être mis en présence de la parole (habla) même, ce qui s’écrit avec un ensemble de lettres fournies par la masse phoniques entendue de travers chez l’analysant, qui en babillant (al parlotear) fait de la poésie quand ça arrive – cela n’est pas fréquent. Pour Lacan, disons d’emblée que l’acte – tout court – prend la place d’un dire dans lequel change le sujet, car il fait que dans ce ” je suis arrivé là ” se vérifie un acte analytique. Il est atteint, touché – vu et entendu – à chaque entrée dans une analyse. À ce point, en tant que poème qui s’écrit- il est présent dans le présent – l’analyste, en principe, ne peut rien faire d’autre que se plier de manière aliénée à cette activité (ça) langagière aux fins imprévues pour lui.

Pour conclure ce parcours, je voudrais dire qu’Enrique Tenenbaum fait référence à la condition de « désabonné de l’inconscient », ce qui, me semble-t-il, désigne un parlêtre qui a interrompu ou annulé son abonnement, et il s’agit donc de jeter les bases d’une rupture de la liaison précédente avec l’inconscient. Dans cette ligne, on peut dire par exemple, que pour Joyce son sinthome lui était inconscient et qu’il ne savait pas comment il était en train de fabriquer son propre nœud et / ou sa chaîne. Eh bien, on vérifie face à cette question, que l’Un s’inscrive/s’inscrit (el subjuntivo en español se inscriba-) comme une formation psychique désabonnée, dans la mesure où il a réussi à rompre son lien d’origine en se passant du soutien, une dette éternelle, car impayable. En ces termes, cela illustre quand même le fait que, dans l’analyse, nous travaillons pour créer une autre forme de crédibilité, sans attendre que l’Autre nous donne ses sens et par le biais de l’invention de nouveaux signifiants, au lieu du sens on pose un “j’ouis-sens”, une façon de le décomposer homophoniquement à jouissance.[8]

 

[1] Maison de l’Amérique Latine, Paris, coordinado por Diana Kammieny

[2] Obras completas? O para decirlo con  Umberto Ecco , son abiertas ya que ante todo convocan al lector a dar las razones de su práctica. No deconstrucción deleziana.

[3] Ilda Rodriguez,Las psicosis en psicoanálisis,  Lapsus Calami. Revista de psicoanálisis Nº 6, Autismo y Psicosis, Letra Viva, BsAs , 2017

[4] Poema procede del latin po~ema, y este del griego poiema, ( creación, hazaña) y poiesis cuya raíz es poien (hacer, crear) y originariamente  se utilizaba para denominar cualquier obra literaria

[5] Roberto Harari, Polifonías del arte en psicoanálisis y en numerosos artículos y libros de su autoría.

[6] Jacques Lacan, De la lectura de Freud, en Lacan, Roberto Georgin, Nueva Visión, Bs.As, 1988

[7] J.Lacan, Seminario 23

[8] R. Harari, Cómo se llama James Joyce? A partir de El sinthome de Lacan. Amorrortu, BsAs 1983,  Manera de descomponer homofónicamente a jouissance  “goce”